Souvent perçu comme un déchet, le bois mort est en réalité un élément essentiel au bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques. A l’échelle des têtes de bassin versant, il joue un rôle crucial dans la régulation des flux hydrauliques, l’amélioration de la qualité de l’eau et l’accueil de la biodiversité. Cet article met en lumière l’importance écologique de ce matériau naturel, indispensable à la bonne santé des cours d’eau.
« Les petits ruisseaux font les grandes rivières »
Commençons par définir ce que sont les têtes de bassin versant, avant de détailler le rôle qu’y joue le bois mort.
En France, les têtes de bassin versant (TBV) sont définies par les rangs de Strahler 1 et 2, à l’échelle cartographique 1/25 000ème, visibles dans la Figure 1. Elles regroupent tous les ruisseaux et petits cours d’eau avant leur arrivée à la mer ou leur confluence (jonction) avec des cours d’eau plus importants.

Figure 1: La classification de Strahler -©Glossaire Eau, Milieu marin & biodiversité
Elles occupent une place importante et très stratégique dans le réseau hydrographique. En effet, on estime qu’environ 75% du linéaire de cours d’eau en France sont des cours d’eau de TBV (Le Bihan ; Malavoi, 2009) et qu’elles occupent 75% de la surface du bassin versant de la Vilaine, comme le montre la Figure 2.

Figure 2 : Les têtes de bassin versant à l’échelle du SAGE Vilaine – © Eaux&Vilaine
Aux États-Unis, on estime ainsi que près de 50 à 70% de l’alimentation des cours d’eau de rang 3 et plus provient des TBV (Alexander et al., 2007).
Les têtes de bassin versant : des milieux fragiles
Les cours d’eau de têtes de bassin versant sont des milieux menacés, car leur petite taille a facilité leur dégradation : d’abord par la modernisation de l’agriculture, qui a souvent entraîné leur rectification (mise en ligne droite des cours d’eau), leur recalibrage (agrandissement des cours d’eau pour empêcher leur débordement), leur déplacement ou leur enterrement. Cette dynamique a été largement accrue par l’artificialisation des terres.
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Figure 3 : Un cours d’eau enterré à près de 2,4m de profondeur récupérant de grandes quantités d’eaux pluviales |
Figure 4 : Un étang captant la source historique d’un cours d’eau |
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Figure 5 : Un cours d’eau déplacé et rectifié le long d’une route |
Figure 6 : Un cours d’eau fortement dégradé par un intense piétinement bovin |
Ces opérations ont quasi-systématiquement entraînées le drainage des zones humides riveraines des cours d’eau, accroissant les extrêmes hydrauliques avec des étiages (périodes de basses eaux) plus longs et sévères, et des crues plus rapides et intenses.
Parmi les dégradations très fréquemment observées sur les TBV, figure l’absence de ripisylve, qui est la végétation boisée ceinturant les cours d’eau. Pourquoi est-ce une forte dégradation ?
Car la ripisylve occupe de multiples fonctions écologiques pour les cours d’eau, parmi lesquelles figure l’apport important de matière organique (feuilles mortes, végétations herbacées annuelles …) et de bois mort, provenant de la sénescence de la végétation, des coups de vent, attaques de champignons, bactéries, insectes, etc.
Le bois mort dans les cours d’eau
Au cours des siècles de domestication et de dégradation des cours d’eau, notre culture a vu s’imposer l’idéal d’un cours d’eau « beau » et « propre », dont les eaux coulent sans entrave vers l’aval, un cours d’eau dont le bois mort est absent, ce qui – nous allons le voir – nuit grandement au fonctionnement des hydrosystèmes en favorisant les étiages sévères, les fortes crues ou la perte de biodiversité. Or, un cours d’eau est naturellement ceinturé d’une végétation ligneuse, dont les feuilles, les branches ou les troncs finissent tôt ou tard par tomber à l’eau.
Bois mort n’est pas embâcle
Ici, il est essentiel de distinguer le bois mort de l’embâcle, qui correspond à une définition juridique correspondant à l’article L.215-4 du Code de l’Environnement :
« Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d’eau. L’entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d’eau dans son profil d’équilibre, de permettre l’écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions d’application du présent article ».
La loi vise notamment à protéger les ouvrages d’art d’embâcles pouvant détériorer leur structure, mais l’immense majorité du bois mort présent dans les cours d’eau n’est donc pas concerné par cet article de loi. De plus, les cours d’eau de TBV ont rarement les débits suffisant pour transporter des débris ligneux de taille conséquente en aval. Le risque d’embâcle est donc écarté, souvent réservé à des arbres flottant en travers de cours d’eau plus importants.
Les rôles du bois mort dans les cours d’eau
L’importance hydrologique du bois mort dans les cours d’eau
Le bois mort apporte de la rugosité au sein du lit mineur, diminuant mécaniquement les débits et temps de transfert des flux hydrauliques vers l’aval (Elosegi et al., 2010), réduisant fortement les pics de crue en aval, qui sont souvent les vallées alluviales les plus peuplées. Cela permet aussi une diversification des écoulements (lents, rapides, turbulents, etc.) et donc des habitats accueillant une biodiversité diversifiée.
Il favorise également la rétention de l’eau et la création de zones humides riveraines par débordement localisé, qui viendront écrêter les extrêmes hydrauliques et favoriser des habitats de zones humides (mégaphorbiaie, saulaies, etc.).
La réduction des débits de pointe vient encore réduire le risque d’emporter le bois mort vers l’aval, luttant d’autant plus contre les embâcles pouvant déstabiliser les ouvrages d’art, et participe au ralentissement du cycle de l’eau.

Figure 7 : Le bois mort diversifie les écoulements – ©Dervenn
L’importance biogéochimique du bois mort dans les cours d’eau
Cette rugosité augmente les échanges avec la zone hyporhéique, qui est la zone de mélange des eaux de surface et souterraines qui coule sous et à côté du cours d’eau, à travers les sédiments.

Figure 8 : La zone hyporhéique – ©Datry et al., 2008
Comme illustré dans la Figure ci-dessous, le bois mort, va – par des jeux de pression – forcer une partie de l’eau à s’infiltrer pour pouvoir passer l’obstacle. Via la mise en contact des nutriments présents dans l’eau avec les bactéries et les ions capables de les transformer ou fixer, le cours d’eau a une capacité naturelle d’autoépuration (Datry et al., 2008).

Figure 9 : Exemple du fonctionnement d’échanges entre le cours d’eau et sa zone hyporhéique – ©Datry et al., 2008
L’importance biologique du bois mort dans les cours d’eau
Les faibles débits rendent important l’accumulation de matière organique dans les cours d’eau de TBV, et le bois mort permet notamment la rétention d’une grande quantité de feuilles mortes. Cette matière organique constitue la base de la chaîne trophique et permet une grande multitude de microhabitats, qui permettent à leur tour d’installation d’une grande quantité de bactéries, champignons, et invertébrés (trichoptères, gammares, …). Il est montré que le bois mort peut ainsi représenter près de 60% de la biomasse en invertébrés par mètre de cours d’eau (Magliozzi et al., 2020).

Figure 10 : Rétention de matière organique en tête de bassin versant, une zone écologiquement riche – ©Dervenn
Ces (micro)organismes, en servant de nourriture, vont permettre l’établissement de populations d’odonates (leurs larves sont carnivores), d’amphibiens ou de poissons qui pourront à leur tour échapper aux prédateurs que leur présence aura attiré (ex : héron, martin-pêcheur, loutre, etc.) en se cachant sous des souches et des branches immergées.
Dans les cours d’eau relativement larges, les bois tombés en travers permettent aussi le passage de petits animaux d’une rive à l’autre (ex : petits mammifères, invertébrés terrestres, …), favorisant les brassages génétiques et donc la bonne santé des populations.

Figure 11 : Exemple de bois mort jouant le rôle de passerelle entre les rives – ©Dervenn
Synthèse et enseignements
Le bois mort est un matériau naturel, avec qui les cours d’eau ont toujours co-évolués, c’est pourquoi il est essentiel pour les cours d’eau et zones humides riveraines dégradés par les activités humaines. En raison d’un entretien excessif et d’une perception sociale négative, poussant le plus souvent au retrait de tout bois mort, les cours d’eau a fortiori ceux de têtes de bassin versant, ont un manque chronique de bois mort. Celui-ci a de multiples bienfaits sur leur fonctionnement : il ralenti le cycle de l’eau, réduit les extrêmes hydrauliques (étiages et crues), favorise l’autoépuration des cours d’eau et donc la réduction des pollutions dans les eaux de surface et souterraines, mais attire aussi la vie aquatique et amphibie sous toutes ses formes (bactéries, champignons, invertébrés, amphibiens, poissons, oiseaux, mammifères …).
Dans le cadre de missions de renaturation des milieux aquatiques, il apparaît donc judicieux de favoriser la présence de bois mort pour renforcer la diversité et la quantité d’organismes vivants assurant la bonne santé des écosystèmes, mais aussi pour permettre de diminuer les interventions lourdes souvent polluantes (terrassements, apports de granulats, etc.) en phase chantier.
Sources :
- Légifrance, article L215-14 du Code de l’Environnement : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006833171
- FDPPMA35, CD35., 2022, Journal club n°6 : Le bois en rivière, élément clé du fonctionnement hydromorphologique des cours d’eau.
- ALEXANDER R.B., BOYER E.W., SMITH R.A., SCHWARZ G.E. & MOORE R.B., 2007, The role of headwater streams in downstream water quality, Journal of the American Water Resources Association (JAWRA), 43 (1), 41-59
- DATRY T., DOLE-OLIVIER, M., MARMONIER, P., CLARET, C., PERRIN, J., LAFONT, M., & BREIL, P., 2008, La zone hyporhéique, une composante à ne pas négliger dans l’état des lieux et la restauration des cours d’eau. Sciences Eaux & Territoires, (54 Ingénieries-EAT), 03–18.
- LE BIHAN M., 2009, L’enterrement des cours d’eau en tête de bassin en Moselle (57), Rapport de stage, ONEMA/Université Paul Verlaine Metz, 49 pages.
- MAGLIOZZI, C., MEYER, A., USSEGLIO-POLATERA, P., ROBERTSON, A., & GRABOWSKI, R. C., 2020, Investigating invertebrate biodiversity around large wood: taxonomic vs functional metrics. Aquatic Sciences, 82(4), 1-13.
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