La considération des sols apparaît comme de plus en plus prégnante dans l’aménagement du territoire.
Un nouveau regard est porté sur la prise en compte des atteintes portées au sol : l’impact lié à l’urbanisation devient une composante de plus en plus significative des projets d’aménagements, tant à l’échelle de la planification territoriale qu’à l’échelle de l’aménagement.
Cette nouvelle façon de considérer les sols se traduit progressivement à la fois du point de vue règlementaire que du point de vue des pratiques des professionnels de l’aménagement, tant publics que privés (collectivités, aménageurs, paysagistes concepteurs, architectes, …).
Tâchons ici d’éclaircir ce qu’est un sol, sa formation, sa composition, et pourquoi cette considération se doit en effet d’être majeure au regard des enjeux environnementaux actuels.
Un sol, c’est quoi ?
Le sol est communément défini comme la partie de la croûte terrestre entre la lithosphère (couche externe de la croûte terrestre) et l’atmosphère.
Il se compose, globalement, de 25% d’air, de 25% d’eau, et de 50% d’éléments solides : argiles, limons, sables, matière organique fraîche et matière humique (matière organique transformée), gravier, pierre, …
Le sol est la partie « vivante » de la terre. Il constitue en effet et en premier lieu le produit du vivant, car issu de la transformation de la couche superficielle de la roche-mère, enrichie en matière organique par les processus physiques, chimiques, biologiques qui, en interaction les uns avec les autres, conduisent à sa formation.
Il est ensuite le support du vivant : il abrite en son sein une biodiversité considérable, notamment liée à la dégradation de la matière organique. Il permet le développement du végétal, lui-même nécessaire à la vie d’une multitude d’espèces animales (dont l’homme, faut-il le rappeler !).
Le sol est ainsi à l’origine de nos paysages, qui peuvent être considérés comme « la partie émergée de l’iceberg » et la résultante visible des innombrables processus liés au sol au sens large : érosion et formes du relief, implantation de l’activité humaine, paysage végétal, matériaux de construction traditionnels du bâti, types de cultures, …
Le sol : une incroyable machinerie
Le sol est donc à la base de toute vie sur terre, en dehors bien sûr de la vie inféodée aux milieux aquatiques (bien que d’autres interactions, bien entendu, existent entre ces deux milieux).
Il correspond à une « machinerie » des plus complexes, où processus chimiques, êtres vivants, interactions gazeuses, … interagissent et évoluent en coordination.
On appelle le processus de formation des sols, la pédogenèse.
La formation d’un sol : un processus sur le temps long [1]
Selon l’influence de ces différents facteurs, on considère qu’il faut entre 100 et 1 000 ans pour que se forme 1 cm de sol [1]. En d’autres termes, la formation d’un mètre de sol nécessite entre 10 000 et 100 000 ans !
Autant dire que le processus de formation d’un sol se fait sur des échelles de temps considérables, et qu’on ne peut pas, à ce titre, considérer les sols comme une ressource renouvelable mais comme un bien précieux ! Il constitue un vrai réacteur biologique, où un des processus fondamentaux dont il est le siège concerne la transformation de la matière organique.
Le sol est en premier lieu, rappelons-le, une couche en interaction avec l’atmosphère, et opère de nombreux échanges avec elle.
Il joue notamment un rôle de premier ordre dans la séquestration ou l’émission de gaz à effets de serre (dioxyde de carbone, dioxyde d’azote, méthane).
Le sol joue donc notamment un rôle central vis-à-vis du dioxyde de carbone au travers de deux types de flux, qui dépendent très fortement de son activité biologique :
- Soit un rôle de séquestration, avec des entrées de carbone sous forme « fraîche » (feuilles, brindilles, racines mortes, micro-organismes morts, .) ;
- Soit sous la forme de sorties gazeuses, au travers de la transformation de cette matière organique en molécules de gaz par des organismes décomposeurs (champignons, bactéries, vers de terres, arachnides, myriapodes, …).
Le sol renferme ainsi plus de carbone inorganique que l’atmosphère (1,1 contre 0,66 103 Gigatonne) ; il est également le plus grand réservoir de carbone organique (1,6 103 Gt), devant la biomasse terrestre, les sédiments superficiels et l’océan. [2]
Ainsi, l’augmentation ou, a minima, le maintien du stock en carbone du sol, est considérée comme un facteur indispensable pour limiter ou pour atténuer l’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère et ses conséquences devenues de plus en plus palpables en matière de changement climatique.
Stock de carbone en France (estimation) par surface, compartiment et occupation du sol (en million de tonne de carbone)[4]
En ce qui concerne le changement climatique, rappelons ici que le sol est le support de tout végétal, végétal qui joue lui aussi un rôle central, entre autres, dans la régulation de notre climat. Pour en savoir plus sur ce sujet, découvrez notre article dédié au rôle et à la place du végétal dans les aménagements.
Le sol joue également un rôle central vis-à-vis de l’eau et de certains services écosystémiques : infiltration, filtration et épuration, rétention, fourniture en eaux et transferts de nutriments pour les végétaux, … La teneur et la qualité de ces mécanismes dépendent de sa texture, sa structure et sa porosité.
La biodiversité du sol
De nombreux organismes trouvent dans le sol un abri, un support ou un milieu indispensable à leur vie. La plus grande partie de la biodiversité terrestre se trouve en effet dans le sol, et non au-dessus.
Les sols regorgent d’une faune et d’une microflore tout simplement incroyablement diversifiée et abondante : macrofaune (vers de terres, fourmis, …), mésofaune (acariens, insectes, …), microfaune (nématodes, protozoaires, …) et microflore (bactéries, virus, champignons, …).
Le sol constitue un trésor vivant insoupçonné qui représente 50 % de la biodiversité spécifique sur la terre[5]. En région tempérée, chaque mètre carré (sur 20 cm de profondeur) abrite en moyenne 10 000 espèces animales[6].
Une cuillère à café de sol, soit environ un gramme, héberge en moyenne :
- 100 arthropodes,
- 1 000 à 2 000 nématodes,
- des millions de protozoaires
- près d’un milliard de cellules bactériennes, issues de plus de 1 million d’espèces [7].
- 200 m de mycélium de champignons correspondant à 100 000 champignons, issus de plusieurs milliers d’espèces fongiques saprophages [8] [9].
On estime que moins de 1% des bactéries et des virus a été décrit et seulement 4% des champignons (macroscopiques et microscopiques) ont été identifiés. [10]
Le sol : une biodiversité incroyable et encore méconnue[11]
Pour plus de détails, ce tableau dénombre les organismes vivants du sol par m² en moyenne, ainsi que le nombre d’espèces décrites et estimées :
Avec ses nombreuses fonctions, la biodiversité du sol représente à la fois un précieux patrimoine à préserver, un extraordinaire réservoir et une source d’innovations qui peuvent largement aider les écosystèmes et l’espèce humaine à faire face aux défis environnementaux et économiques à venir : on parle de « services rendus par la nature ».
Cette biodiversité et cette complexité des processus qui régissent la vie des sols doit également nous pousser à faire preuve d’une grande humilité, en particulier lorsque nos activités peuvent induire des répercussions notables sur les sols.
La prise en compte du sol dans l’aménagement : vers une gestion plus responsable
Comme évoqué plus haut et en dehors des processus qui les régissent et de la biodiversité qui les composent, les sols jouent un rôle support et portent les espaces habités, les infrastructures de transport, nos paysages, nos cultures.
« L’épaisseur des sols en France métropolitaine est de l’ordre du mètre. [12] Ramenée au rayon terrestre, cette épaisseur correspond à celle d’une feuille de papier sur 640m ! »
D’où l’importance de considérer cette fine pellicule comme un bien des plus précieux, puisque support de tout vie sur notre planète et non renouvelable.
Or chaque minute, l’équivalent de 17 ha de sol sont artificialisés et rendus imperméables à cause de l’installation de nouvelles infrastructures dans le monde. [13]
Face à la pression de l’urbanisation et des activités humaines, les sols naturels ou agricoles deviennent donc des ressources de plus en plus précieuses et rares.
Cette préoccupation devient davantage centrale en France, au travers de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) par exemple.
Les sols doivent ainsi être protégés efficacement par nos sociétés, et leur préservation doit être appliquée de manière consensuelle par l’ensemble des acteurs : collectivité territoriales, forestiers, agriculteurs, mais aussi aménageurs, promoteurs, paysagistes, urbanistes, architectes.
Conscients de sa vulnérabilité et de la place centrale que jouent les sols dans les équilibres naturels qui régissent l’intégralité de la biosphère, nous tâchons, dans nos projets de conception paysagère et d’éco paysage, de considérer les sols à leur juste valeur.
La pose de platelages bois par exemple, représente l’une des solutions que nous proposons pour limiter la sur fréquentation et le piétinement, responsable de la dégradation des sols.
Platelage bois réalisé par notre entreprise Dervenn Travaux & Aménagements dans la réserve naturelle régionale de Beauguillot. Pour en savoir plus sur cette réalisation, découvrez notre fiche référence.
Gérer de façon économe l’espace en vue de limiter les surfaces à aménager et à imperméabiliser, limiter les terrassements, mettre en place des revêtements moins impactant pour les sols, anticiper la réversibilité éventuelle des aménagements, travailler activement à la préservation de la trame brune (qui garantit la continuité écologique des sols, notamment pour les espèces qui y vivent, grâce aux réservoirs et corridors écologiques dont elle est composée [14]) … sont autant d’exemples de solutions que notre paysagiste concepteur tâche systématiquement de mettre en place dans chacun des aménagements dont il a la charge.
Car il s’agit aussi par ce biais d’agir le plus durablement possible et de s’aligner sur notre raison d’être : « rendre compatibles les activités humaines et la préservation de la biodiversité ».
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[1] Image : © Wikimedia Commons | D’après le schéma de © Quentin Styc, INRAE, https://cartograph-e.hub.inrae.fr/les-bases-de-la-csms/qu-est-ce-qu-un-sol
[2] https://www.inrae.fr/dossiers/peut-encore-sauver-sols/sols-essentiels-vie
[3] BRUNET, Yves ; VOLTZ, Marc. 13. Les sols : éléments d’un cycle dynamique In : Le développement durable à découvert [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2013 (généré le 04 février 2024). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/10626>. ISBN : 978-2-271-11913-1. DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.10626.
[4] D’après Arrouays 1999, Dupouey et al. 1999 Stocks de carbone dans le sol et en forêt, dont par la biomasse, (en MtC = mégatonne de carbone, = million de tonne de carbone), commons.wikimedia.org
[5] Michel-Claude Girard, Christian Walter, Jean-Claude Rémy, Jacques Berthelin, Jean-Louis Morel, Sols et environnement, Dunod, 2011
[6] Vincent Tardieu, Vive l’agro-révolution française!, Paris, Éditions Belin, 23 août 2012, 463 p. (ISBN 978-2-7011-5973-7), p. 56.
[7] Jonathan Leake, David Johnson, Damian Donnelly, Gemma Muckle, Lynne Boddy & David Read, « Networks of power and influence: the role of mycorrhizal mycelium in controlling plant communities and agroecosystem functioning », Revue Canadienne de Botanique, vol. 82, no 8, août 2004, p. 1016–1045
[8] Marc-André Selosse, Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Actes Sud Nature, 2017, p. 343.
[9] Dominique Louppe et Gilles Mille, Mémento du forestier tropical, Quae, 2015, p. 359 et 596.
[10] Vincent Tardieu, Vive l’agro-révolution française!, Paris, Éditions Belin, 23 août 2012, 463 p. (ISBN 978-2-7011-5973-7), p. 56.
[11] Par Marshal Hedin from San Diego — symphylan & poduromorph springtailUploaded by Jacopo Werther, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=24866437
[12] « Synthèse sur l’état des sols de France », https://www.inrae.fr/sites/default/files/synthese_etat_sol_0.pdf
[13] Imperméabilisation du sol et emprise sur les terres, FAO, 2016. https://www.fao.org/3/i6470f/i6470f.pdf
[14] UPGE – Trame Brune : https://www.genie-ecologique.fr/wp-content/uploads/2022/03/Note-de-cadrage-Definition-de-la-trame-brune-v5.pdf