Calopteryx virgo (Caloptéryx vierge) – ©Kilian Falhun
Les odonates, des super-prédateurs
Les odonates, communément nommés libellules, font partie des insectes les plus primitifs. Ce sont des experts de la chasse au vol et leur morphologie y est parfaitement adaptée. Leur tête mobile avec de grands yeux composés leur assure une bonne vision de leur environnement. Leurs mandibules dentées ne laissent aucune chance à leurs proies. Leurs quatre ailes rigides dont les battements peuvent être désynchronisés leur permettent des prouesses aériennes : vol sur place, à reculons, pointes de vitesse, brusques changements de direction, vol à longue distance. Par ailleurs, tous les odonates ont des antennes courtes à peine visibles.
Sympetrum meridionale (Sympétrum méridional) – Le Bignon (44) – ©Nicolas Hyon
Les différences entre demoiselles et libellules vraies
L’ordre des odonates est divisé en deux sous-ordres : les zygoptères (demoiselles) et les anisoptères (libellules vraies). Pour les distinguer, on peut se référer à ce petit tableau :
Zygoptères | Anisoptères | |
Aspect | Fin et élancé | Large et trapu |
Yeux | Petits, ne se touchant pas | Gros, se touchant le plus souvent |
Ailes | Postérieures semblables aux antérieures, jointes au repos | Postérieures différentes des antérieures, ouvertes au repos |
Abdomen | Régulier et cylindrique | Structuré, rarement cylindrique |
Anisoptère : Libellula fulva (Libellule fauve) – St Malo de Phily (35) – ©Nicolas Hyon
Zygoptère – Platycnemis pennipes (Agrion à larges pattes) – St Aubin d’Aubigné (35) – ©Nicolas Hyon
Une première vie aquatique
Les odonates sont des insectes hémimétaboles : leur existence peut se découper en trois phases : incubation dans un œuf, phase larvaire aquatique, phase adulte aérienne. Après l’accouplement, la femelle pond ses œufs dans ou à proximité immédiate de l’eau. À l’éclosion, la larve commence une vie de prédateur aquatique. Elle grandit alors par mues successives sans quitter le milieu aquatique qui l’abrite. Cette phase larvaire dure de quelques semaines à quelques années selon les espèces et les conditions du milieu.
Larve d’aeschnidae – ©Dervenn
Accouplement Coenagrion pulchellum (Agrion joli) – ©Dervenn
Les odonates sont présents dans tous les milieux aquatiques d’eau douce : mares, tourbières, étangs, cours d’eau de toute taille et même marais saumâtres.
La phase larvaire se termine par la sortie de l’eau de la larve, c’est alors que se produit la mue imaginale ou émergence qui voit l’adulte s’extraire de sa dépouille larvaire. Ce processus est long (de 1 à 3 heures) et rend l’insecte très vulnérable à la prédation. L’émergence peut être nocturne. La phase adulte dure quelques semaines.
Les menaces sur les odonates
Étant liées pour leur stade larvaire aux milieux aquatiques, les espèces d’odonates ont été fortement impactées par le drainage massif des zones humides et par l’aménagement des cours d’eau. La destruction et la fragmentation de leurs habitats de reproduction sont les principales menaces qui pèsent sur les odonates.
Les habitats aquatiques de reproduction sont aussi fortement dégradés par les pollutions, en particulier d’origine agricole. Le lessivage des engrais provoque une eutrophisation des milieux aquatiques et les polluants chimiques (phytosanitaires, médicamenteux) empoisonnent les eaux.
Localement, la pisciculture peut être à l’origine d’une régression notable des populations d’odonates.
Par ailleurs, la destruction des hydrophytes et des gazons amphibies par certaines espèces exotiques envahissantes comme le Ragondin et les écrevisses américaines, peuvent particulièrement impacter certaines espèces d’odonates qui dépendent de ces végétaux pour le développement de leurs larves.
Les odonates dans nos régions
Richesse spécifique
Si on recense 93 espèces d’odonates en France, on ne les observe pas toutes dans les régions de l’ouest du pays. En effet, on recense 67 espèces en région Pays de Loire, 59 espèces en Bretagne ainsi qu’en Normandie.
Il est à prendre en compte que le nombre d’espèces, quelle que soit la région considérée, n’est pas stable dans le temps. Il y a en effet des espèces reproductrices observées de façon régulière, et d’autres espèces, qui elles, sont erratiques et présentes de façon occasionnelle selon les années en fonction des mouvements de populations, et dont la reproduction n’est ainsi pas stable, voire même avérée dans nos contrées.
À titre d’exemple, sur les 67 espèces recensées, la région des Pays-de-la-Loire compte 60 espèces dont la reproduction est avérée et régulière. Des espèces comme la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis), la Grande Aeschne (Aeshna grandis), le Caloptéryx hémorroïdal (Calopteryx haemorrhoidalis) ou le Sympétrum jaune d’or (Sympetrum flaveolum) sont sujettes à erratisme et n’ont ainsi fait l’objet que de quelques très rares observations dans la région ; aucune population pérenne n’a du moins été recensée sur ce territoire.
Sympetrum flaveolum (Sympétrum jaune d’or) – ©Kilian Falhun
Les milieux aquatiques diversifiés de nos régions
La grande diversité de milieux aquatiques que l’on retrouve de la Bretagne jusque dans les Pays-de-la-Loire permet à un nombre relativement important d’espèces de s’implanter dans ces régions dont certaines remarquables par leur rareté et leurs exigences écologiques.
Ainsi, se trouve dans nos régions des espèces affectionnant les cours d’eau, du petit ruisselet au grand cours d’eau comme la Loire. C’est d’ailleurs dans ce fleuve, et quasi exclusivement dans ce fleuve dans l’ouest du pays, que se reproduisent deux espèces remarquables : le Gomphe serpentin (Ophiogomphus cecilia) et le Gomphe à pattes jaunes (Stylurus flavipes).
Les voies navigables de ces deux régions sont aussi marquées par la présence d’espèces menacées comme l’Agrion joli (Coenagrion pulchellum) dont l’un des bastions dans l’ouest de la France se situe au niveau du canal de Nantes à Brest.
La Bretagne et les Pays-de-la-Loire offrent une belle diversité de milieux stagnants qui profitent à de nombreuses espèces. On y retrouve des mares, des étangs, des boires, des lacs comme celui de Grand-lieu en Loire-Atlantique où il est possible d’observer la rare Aeschne isocèle (Aeshna isoceles) ou le lac de Brennilis (29) dont la ceinture tourbeuse abrite le Sympétrum noir (Sympetrum danae). Sur les zones littorales vendéennes et de Loire-Atlantique, les pièces d’eaux saumâtres sont colonisées par une espèce spécialisée : le Leste à grands stigmas (Lestes macrostigma).
Niveaux de menaces de nos libellules et demoiselles
À ce jour, la Bretagne compte 6 espèces menacées et 3 quasi-menacées localement à l’échelle régionale ; 7 espèces menacées et 6 quasi-menacées en Normandie, ainsi que 8 espèces menacées et 9 quasi-menacées dans les Pays-de-la-Loire. Par ailleurs, ces régions abritent des espèces menacées à l’échelle nationale et/ou continentale comme le Leste à grands stigmas (Lestes macrostigma), l’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale), l’Agrion joli (Coenagrion pulchellum), la Grande Aeschne (Aeshna grandis), la Cordulie métallique (Somatochlora metallica) et le Sympétrum noir (Sympetrum danae).
Selon de récentes données (David et al. ; 2023), la dynamique d’aire de répartition régionale est stagnante pour une majeure partie des espèces de Bretagne et des Pays-de-la-Loire. Une bonne partie des libellules et demoiselles rencontrées dans la région ont même une aire de répartition en progression ; seules quelques espèces ont une tendance à la régression. Toutefois, ces conclusions sont à nuancer, car à l’exception de la Leucorrhine à large queue (Leucorrhinia caudalis), les espèces en expansion sont assez peu exigeantes vis-à-vis des habitats de reproduction ; à l’inverse les espèces en régression ont de fortes exigences écologiques et utilisent des habitats singuliers et spécifiques pour se reproduire.
Zoom sur quelques espèces patrimoniales de nos régions
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Le Leste à grands stigmas (Lestes macrostigma)
Le Leste à grands stigmas est certainement l’une des demoiselles les plus rares et menacées de France. Classée en danger sur la liste rouge nationale, ce leste n’est présent en France que sur le littoral atlantique, de la Loire-Atlantique à la Charente-Maritime, et sur le pourtour méditerranéen, principalement en Corse et en Camargue.
Sa rareté se doit à ses fortes exigences écologiques et la faible disponibilité de ses habitats de reproduction, à savoir les pièces d’eaux saumâtres peu profondes subissant généralement un assec estival. On retrouve ainsi cette espèce au niveau des marais côtiers qui présente une végétation abondante en hélophyte, notamment en Scirpe maritime et Jonc maritime, sur lesquels les femelles insèrent leurs œufs.
La région des Pays-de-la-Loire a donc une forte responsabilité dans la conservation de cette espèce en France. Dans cette région, les populations existantes sont très fragiles et se situent dans le marais de Guérande et sur quelques stations du littoral vendéen, à savoir sur l’île de Noirmoutier, le marais breton et le marais d’Olonne.
Lestes macrostimga (Leste à grands stigmas) – ©Wikimedia Commons
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Le Gomphe serpentin (Ophigomphus cecilia) et le Gomphe à pattes jaunes (Stylurus flavipes)
Ces deux anisoptères appartenant à la famille des Gomphidae fréquentent et se reproduisent, en France, principalement dans les fleuves et grandes rivières de plaine à fond limoneux/sableux. À la différence des larves du Gomphe à pattes jaunes qui vivent dans les sédiments fins des secteurs peu profonds et à faible courant voire stagnant des cours d’eau, les larves du Gomphe serpentin vont, elles, préférer les zones peu profondes à courant assez important où le fond sédimentaire est plus grossier (sableux ou sablo-graveleux).
Dans nos régions, ces deux espèces sont exclusivement ligériennes. Les imagos étant rarement observables, les recherches de cette espèce se font plus facilement via la recherche d’exuvies. C’est ainsi que des opérations comme « Gomphes de Loire » ont permis, par la recherche et la découverte de nombreuses exuvies, de préciser la répartition et les secteurs avérés de reproduction de ces deux espèces sur le bassin de la Loire. Ainsi, dans les Pays-de-la-Loire, ces deux gomphes sont présents sur plusieurs zones suivant le tracé de la Loire, de Varennes-sur-Loire jusqu’à quelques km en amont de Nantes. En revanche, hormis de très rares cas d’observations, ils ne sont pas présents en aval de Nantes où les conditions biologiques et physico-chimiques ne leur semblent pas favorables.
Les populations de ces deux espèces dans les Pays-de-la-Loire sont plutôt stables. Néanmoins, leur répartition étant limitée quasi-exclusivement au fleuve Loire et le maintien des populations très dépendant de la bonne dynamique fluviale de cette rivière, ces deux libellules protégées sont classées comme quasi-menacées dans la région.
Ophiogomphus cecilia (Gomphe serpentin) – ©Kilian Falhun
Stylurus flavipes (Gomphe à pattes jaunes) – ©Wikimedia Commons
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Sympétrum noir (Sympetrum danae)
En déclin en France, seules quelques petites populations localisées subsistent sur le territoire métropolitain. Ce sympétrum, dont le mâle est facilement reconnaissable par sa couleur noir contrairement aux autres mâles de sympétrum qui eux sont rouges, affectionne particulièrement les milieux stagnants tourbeux et à tendance acide.
Comme la plupart des sympétrums, cette espèce dispose d’une forte capacité de dispersion et est sujette à erratisme. Il y a ainsi dans nos régions plusieurs observations attribuées à des individus erratiques sans qu’une véritable population ne soit présente aux alentours du point d’observation. En Bretagne, des populations pérennes sont présentes dans le Finistère au niveau des monts d’Arrée, en particulier sur la réserve naturelle du Vénec où de nombreux individus y sont régulièrement observés. Dans les Pays-de-la-Loire, des individus sont régulièrement présents dans le Parc Naturel Régional de Loire-Anjou-Touraine. Malgré de rares observations d’individus très certainement erratiques ces dernières années et d’observations passées plus récurrentes, aucune population pérenne ne semble présente aujourd’hui en Normandie.
Sympetrum danae (Sympétrum noir) – ©Kilian Falhun
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